La valise rouge

J’avais une valise rouge en carton bouilli. De ces petites valises d’enfant d’autrefois. Les coutures étaient apparentes, tout du long. Une belle fermeture en acier, Clac. Bien précise à manipuler.

Je ne sais plus ce que j’y mettais. Des poupées, des trucs, des machins en plastique. Parfois rien puisque tout y était déjà, tout mon imaginaire, c’est à dire un wagon.

Et un jour, que se passât-il ? Je ne sais pas ce qui en fut à l’origine, je me suis disputée très fort avec ma mère. J’étais toute petite, entre 3 et 6 ans.
D’habitude j’étais docile. Sauvage, très, mais obeïssante.

Et j’ai le souvenir de la première colère, du Non retentissant en moi. Non, je ne voulais pas, non je n’acceptais pas je ne sais quelle décision. NON.

Je me suis mise à bouillir, à éclater, violente tout à coup. J’ai pleuré, trépigné. Ras le bol. Ras la casquette de cette mère qui entravait mon désir, ma décision.
NON.

Elle m’a laissée seule dans ma chambre. J’ai pris ma valise rouge. J’y ai mis le nécessaire absolu. Nounours chéri, une petite poupée sans doute, et puis…quelques crayons ? un cahier ? Une balle en plastique, une veste pour la poupée ?
De quoi a-t-on besoin à 6 ans pour vivre sur la route ?

J’ai descendu l’escalier. Ma mère m’a vue. N’a rien dit.
La maison en briques avait une belle allée goudronnée qui donnait sur une route passante, dans un tournant.

J’ai descendu l’allée. Avec l’impression que cela durait tout à coup très longtemps. Mon ventre commençait à se nouer. Aveuglée par le chagrin et la rage, je continuais sans me retourner. Epouvantée.

Je suis arrivée en bas, les voitures passaient en trombe au ras du trottoir et moi, là, désemparée.

Tout a tourné dans ma tête. Oh là là on fait comment à 6 ans pour vivre seule sur le trottoir, pour prendre la route !
Qu’est ce que je fais ?
Qui suis je moi ?

Oh là là !

Mon coeur s’est rétreci. La trouille, la panique complète.
Je pleurais. J’étais perdue.
Le monde extérieur s’ouvrait devant moi, solitaire, rien. Rien, je n’étais rien toute seule à ce moment.
Un petit gnome, une brindille dans le vent. Rien. Impossible.

Terrifiée, j’ai mis ma peur dans ma poche. J’ai fait demi tour la tête basse. Perdue, sanglotante, déboussolée.
Alors j’étais qui moi loin d’ici ? Comment on faisait ?

Je suis remontée vers la maison. Honteuse, penaude.
On ne m’y reprendrait plus. Maintenant je savais ce que partir voudrait dire.

Je le referai, plus tard, ouais, et là on verrait…

Oui, encore une dizaine d’années et là, on verrait…

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4 commentaires to “La valise rouge”

  1. Je dirais: bravo ta maman de t’avoir laissée partir…et revenir.
    Tu te souviens de tes 6 ans toi? ben…!

  2. Une histoire comme un début de film en flashback avec cette note de couleur que celle de la petite valise rouge…
    Un peu plus tard une femme est ce la même? sans doute. Une autre valise posé à la hâte sur un lit,i un départ précipité, des larmes essuyés à la va vite avec le revers de la main…
    et puis des pas qui reviennent, qui repartent …

    Ne passe t on pas sa vie a partir , à revenir à mourir toujours un peu plus, à renaître toujours un peu plus loin?

    Ton texte est beau et fort sans doute pour cela qu’il me parle si fort en image…

    Sans rire je le vois bien en film…

    Tu l’es toujours cette petite valise rouge, dis???

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